Une conversation avec Paula Smith
Origine de la fanfiction (2)
L'interview de Paula Smith - Partie II
Cet article est la traduction d'une page du site OTW.
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Leur "journal" contient des textes qui sont des analyses de fan et des interwiew. Vous trouverez-ci dessous la liste de leurs articles et un bref résumé du contenu. Tous les textes sont accessible au public.
Liste de tous leurs articles avec résumé (FR)
Comme cette interview aborde deux sujets distincts, elle est publiée ici en deux parties
Présente à l'origine
Q: Tu devrais peut-être expliquer ce qu'est un letterzine.
PS : Un letterzine était une publication, souvent mensuelle. Les gens écrivaient des lettres à un éditeur en particulier qui les recueillait et renvoyait simplement le zine imprimé aux gens qui avaient adressé ces lettres.
Q: C'était le principale moyen de communication entre fans avant l'arrivé d'Internet ?
PS : C'était un moyen de courant de communication de groupe et, bien sûr, il y avait les conventions. Ma première convention a été le Detroit Triple Fan Fair en 1972. C'était une convention de science-fiction, qui se tenait à Cobo Hall dans le centre de Detroit. Je me souviens que nous nous promenions dans Detroit à 3 heures du matin – c'était une autre époque. Gene Roddenberry [créateur de Star Trek, NdT] et Majel Barrett [interprète de l'infirmière Christine Chapel dans la série, NdT] étaient là, et c'est là que je les ai rencontrés pour la première fois. David Gerrold [écrivain de science-fiction et scénariste pour Star Trek, NdT] était là aussi. Mais surtout, j'ai rencontré plein de fans de Detroit, la plupart étant des fans de Star Trek.
Q: Comment en avais-tu entendu parler ?
PS : J'avais vu un flyer. J'avais vingt-et-un ans, c'était ma dernière année au Kalamazoo College. J'avais été membre du groupe Science Fiction, Marche, Soupe et Petits Hommes Verts à l'université. C'était principalement un club de lecture de science-fiction, à l'époque. C'est mon père qui m'avait initiée à la science-fiction.
Q: J'ai entendu la même chose de fans de U.N.C.L.E. (Des agents très spéciaux, NdT). Pour ma part, c'est mon père qui m'a présenté la série. Maintenant, j'ai cette théorie : tout fandom remonte aux pères.
PS : Surtout pour les femmes ! Parce que votre père vous dit que vous avez le droit de vous investir dans ce que vous aimez. J'avais huit ans et je me souviens d'un numéro de Amazing Stories ou d'un autre magazine de science-fiction, avec une couverture très criarde et une histoire de Harlan Ellison [écrivain de science-fiction et scénariste occasionnel de Star Trek, NdT] à l'intérieur. Mon père avait beaucoup de livres de poche, et il appartenait au Club de Lecture de Science-Fiction. Il travaillait comme mécanicien pour gagner sa vie et avait un diplôme en ingénierie mécanique de l'Université d’État du Michigan. Ma mère avait une licence aussi, mais en économie domestique. Tous ces trucs étaient dans la maison et je les lisais.
Au Detroit Triple Fan Fair, j'ai trouvé des fanzines. Trek n'était plus diffusé à cette époque, et c'était juste après que Devra Langsam, qui publiait Spockanalia, le premier fanzine sur Star Trek, avait organisé la première convention Star Trek, à New York en 1972. Caroll Lynn, qui est devenue mon amie et co-éditrice, était là. L'année suivante, en 1973, je suis allée à la convention mondiale de Toronto et j'ai rencontré encore plus de gens, de fans.
Il y avait tellement de conventions SF dans les années 70 et 80 ! N'importe quelle petit groupe universitaire local pouvait organiser une convention dans un hôtel Ramada du coin, et il y avait 30 à 100 personnes qui venaient, selon la taille de la ville. Nous allions à Champaign-Urbana dans l'Illinois pour la Chambana Con, à Columbus dans l'Ohio pour la MarCon, à Chicago pour la WindyCon. Ça valait la peine d'y aller, parce que ces conventions attiraient beaucoup de fans venus du nord du Midwest. Mes territoires s'étendaient de l'Iowa à New York dans un sens, et de l'Ontario au Kentucky dans l'autre. Je n'ai jamais réussi à aller aux conventions du Sud et de l'Ouest.
Q: Comment savais-tu la date et le lieu de ces conventions ?
PS : Les gens écrivaient dans les magazines de SF et indiquaient où les conventions allaient se tenir pour que chacun puisse être au courant. On pouvait aussi être prévenu par courrier. On se postait tout – les fans se ruinaient en envois postaux – et on se contactait beaucoup de cette façon. Il y avait aussi les APA (Alliance de la Presse Amateur). Les fans se réunissaient et, tous les mois, créaient un petit zine. Il pouvait y avoir 1 pages, ou 4 ou 5 ou 20. Ils en envoyaient 30 copies par exemple, autant de copies qu'il y avait de membre dans l’alliance, au responsable de l'édition. Il rassemblait tout ça et le postait. L'envoi était payé par les membres qui envoyaient leur cotisation.
Q: Ça semble très preneur en temps...
PS : Ça l'était, mais d'un autre côté, nous n'avions pas Internet. En plus des APA et des letterzines, dans les années 70, on a réalisé qu'on pouvait organiser des conventions, et c'est ce qu'on a fait.
Vers le début 1973, j'ai rencontré Sharon Ferraro. J'étais à Kalamazoo College et elle était à la Western Michigan University. On a formé une société de science-fiction sur les deux universités, qu'on a appelé KWest*- « kwestar ». Sharon et moi avons organisé une convention en 1974 à Kalamazoo appelée Kwest*Con, et on a eu Harlan Ellison comme intervenant – invité professionnel d'honneur. On a dû payer son vol, sa chambre d'hôtel et sa note, mais on ne lui a pas payé d'honoraires. Et on eu Joan Hunter Holly comme invité fan d'honneur. Joan, bien sûr, était l'auteur de The Man from U.N.C.L.E., Ace n.10, The Assassination Affair. C'était une convention SF, mais beaucoup des gens qui sont venus aimaient U.N.C.L.E. et Star Trek aussi. Joan venait de Lansing et elle connaissait Terry Carr, qui était responsable de publication chez Ace. Elle était plus âgée que la plupart d'entre nous – la quarantaine.
Deux cents ou trois cents personnes ont participé à la convention. Ça nous a pas mal rapporté. On a amené Harlan cheze Sharon et on lui a servi du poulet. Sharon était fan d'Ellison. Elle avait dit « On peut l'avoir », et on a réussi ! Ça a été un moment génial.
L'année suivante, on a fait la suite, une convention SF intitulée ReKWest*Con. Puis on est allée à la New York Trek Con en 1975 et on a rencontré les fans new-yorkais de Star Trek.
Q: Il y avait beaucoup de zines, également.
PS : Oui. Les gens écrivaient beaucoup d'histoires sur Star Trek, et les imprimaient. Il y avait deux chemins vers le fandom de Star Trek. Il y avait les femmes un peu plus âgées qui étaient déjà dans le fandom science-fiction et qui se disaient : on peut faire des conventions, des zines autour de Star Trek. Les premiers zines de SF contenaient des histoires. La grande différence, c'est que la science-fiction avait des débouchés professionnels à l'époque. Une fois que vous aviez publié au niveau « fan », vous pouviez vous élever dans la catégorie supérieur si vous étiez bons. Si vous n'étiez pas un bon écrivain, vous finissiez par en avoir assez de vous entendre dire « C'est de la merde » et vous arrêtiez d'écrire au bout d'un moment. Mais avec Star Trek, il n'y avait nulle part d'autre où aller. Alors, si vous développiez votre technique d'écriture, vos fanzines Star Trek finissaient par contenir des histoires d'une qualité grandissante.
Il semblait y avoir deux groupes d'âge au début du fandom Star Trek : 18 ans et 35 ans. L'autre chemin, c'était celui des baby-boomers qui se disaient « J'ai envie d'écrire ! ». Ils voulaient simplement faire quelque chose. Dès qu'ils allaient aux conventions et voyaient les fanzines, ils disaient « Voilà ce que je peux faire ! ». Et ça s'est formé dans tous les pays, et il y avait des zines partout. Il en arrivait sans cesse. On faisait des blagues sur Warped Space, qui a commencé à être publié vers 1975. « Tiens, voilà le Warped Space du mardi après-midi. Voilà l'édition de 3 heures ». L'éditrice était Lori Chapek (qui est devenue plus tard Chapek-Carleton). Il y a le MSUSTC – Michigan State University Star Trek Club. Encore un groupe universitaire ; ce sont dans les universités que beaucoup de baby-boomers ont découvert le fandom.
Mais au moins la moitié du groupe des 18 ans n'allait pas à l'université ; ils lisaient le livre de Joan Winston, Star Trek Lives!, et ils écrivaient à l'adresse indiquée au dos du livre pour rentrer en contact avec d'autres. Ils travaillaient dans des bureaux et pouvaient se procurer des machines à écrire Selectric et du matériel pour photocopier.
À l'époque, on nous apprenait à écrire au lycée, et on nous apprenait aussi à lire des livres et à apprécier une histoire. J'étais une des baby-boomers de l'université mais aussi une fan de SF. Je me suis dit « Zut, on peut faire ça aussi. » Et Sharon et moi avons publié Menagerie. C'était un tout petit zine, mais on avait écrit quelques histoires, alors on les a publiées. On le vendait 1$ et ça couvrait les dépenses. On analysait les coûts – on savait combien de centaines de numéros on devait imprimer à un prix raisonnable – et on les vendait à des conventions et par courrier. On faisait aussi de la pub dans les autres zines.
Si vous regardez des exemplaires de ces vieux zines, vous verrez des lettres à l'éditeur, des pubs pour les prochaines conventions, des annonces pour de nouveaux zines. Les gens envoyaient des flyers qui était ajoutés aux zines.
En ce qui concerne les conventions, Sharon menait l'équipe « Hole-in-the-deck », qui fournissait des services de coursier aux conventions. C'était une manière d'entrer dans les conventions gratuitement. On réunissait un groupe de gens, la convention nous donnait deux pièces et on vérifiait les badges à l'entrée, on s'occupait des invités, on aidait aux inscriptions. On faisait tout. On était les pieds et les mains des organisateurs de la convention, et on apprenait comment diriger des conventions nous-mêmes.
Q: Tu as fait allusion au fait que le fandom Star Trek s'est séparé du fandom science-fiction.
PS : Les mecs de la SF ne voulaient pas parler de choses qui intéressaient les femmes. Buck Coulson, un auteur de SF (et de U.N.C.L.E.), disait « Il n'y a pas de discrimination implicite contre les fans de Star Trek dans le milieu de la science-fiction – elle est flagrante. » Et les femmes disaient « Allez vous faire voir » et commençait à faire leurs propres zines et à organiser leurs propres conventions. En plus de Devra Langsam, il y avait des gens comme Margaret Basta et sa sœur jumelle, Laura. Elles dirigeait S.T.A.R., un « newszine » de Detroit qui étaient diffusés, littéralement, auprès de milliers de personnes. Il y avait aussi Dee Beetem dans le Colorado, et Ruth Berman, qui publiait T-Negative depuis Minneapolis.
Q: Quel était le pourcentage d'hommes dans le fandom Star Trek, et quel était le pourcentage de femmes ?
PS : Le fandom Star Trek était le reflet inverse du fandom science-fiction. Je dirais que 90% du fandom SF était constitué d'hommes, et 10% de femmes, et les proportions étaient inverses dans le fandom Star Trek. Les deux groupes se sont rapidement éloignés, au bout d'un moment seuls 5 à 10% faisaient l'aller-retour entre les deux fandoms.
Q: Il semble que cette époque était la version papier de ce qui se passe maintenant.
PS : C'est vrai. Il y a beaucoup de points communs. Une version papier et steampunk. Mais les structures étaient essentiellement les mêmes.
Q: On dirait le début de ce que l'on appelle le « réseau social » sur le web de nos jours.
PS : Mais c'était au ralenti et il y avait davantage de contact direct.
Q: Les gens voulaient se rencontrer.
PS : Oui, et c’était moins cher de voyager en ce temps-là, ou en tout cas c'est ce qu'il semblait. C'était en tout cas moins « cher » sur le plan du temps que l'on y passait. Et, mon Dieu, ces factures de téléphone ! J'avais des factures de 400 ou 600$. Il fallait payer énormément d'appels longue distance. On appelait après 11 heures du soir pour avoir les réductions. Quand MCI [entreprise de télécommunications américaine, NdT] est arrivé, boom !, on s'est toutes abonnées.
Et si on organisait une convention ?
Q: Les fans créaient déjà une sorte de Réseau [Web].
PS : Oui, et en multimédia : on avait le papier, le téléphone, les réunions où on allait - réunions locales, par États ou régionales. On avait aussi une sorte de réunion annuelle : au début des années 70, la convention new-yorkaise organisée par Devra était la plus importante. Avant qu'elle ne laisse tomber en 1975, il y avait eu deux ou trois grosses conventions professionnelles avec toutes les stars de la série. Mais elles étaient chères : 20$ l'entrée ! Sharon et moi nous sommes regardées, et nous nous sommes dit qu'il fallait faire une convention Star Trek de la même manière que l'on faisait nos conventions de science-fiction. Puisqu'on le cachait aux gens importants, appelons la la « SeKWest*Con ». Aucune star – c'était ça, la grande différence. Alors on a organisé ça en 1976 à Kalamazoo parce que nous savions que les fans actifs étaient dans le Midwest. Et on a pensé : décernons un prix « qualité » pour les fans. On appelait ça un « FanQ », c'était pour remercier tous les gens qui écrivaient de bonnes histoires. Un pour les fanarts et un pour l'écriture. C'était simplement pour Star Trek. Il n'y avait rien d 'autre.
Q: Et ça avait du succès ?
100 personnes sont venues, ce qui n'était pas mal pour ce que l'on envisageait. On organisait quelques tables rondes, une exposition et on avait une salle de vente. C'était la même structure que pour nos petites conventions de science-fiction. Ça se tenait dans un petit motel, et on mettait des annonces dans les zines. On envoyait aussi des lettres au gens qu'on savait intéressés. Beaucoup de gens venaient, de tout le pays. En 1977, pour la deuxième édition, il y avait 200 personnes – certains venaient de loin, par exemple d'Australie ! Ça s'appelait la SeKWest*Con aussi.
Lori Chapek était venue à la première SeKWest*Con et elle s'est dit : « C'était super. Je peux faire la même chose moi aussi. » Alors elle a organisé une petite convention à l'université du Michigan en 1978 alors qu'elle y était encore étudiante. Elle a demandé à organiser la troisième et l'a appelée « T'Con ». Gordon (qui allait devenir son mari), écrivait à cette époque et il avait ces personnages, les T'Kuthiens. C'était une race d'extraterrestres apparentées aux Vulcains, mais puisque c'était un humoriste, il en faisait des clowns barjots.
Lori et Gordon ont fait la T'Con et l'année suivante, en 1979, la 2'Con. La mascotte était un toucan qui faisait le salut vulcain. Puis, Devra a dit qu'elle voulait tenir la suivante à New York, et elle a organisé la « Mos' Easley » en 1980, parce que Star Wars sortait à cette époque là. Les fans de Star Wars ont commencé à venir à la T'Con. C'est donc devenu une convention multi-fandom, même si à l'époque, il n'y avait encore que Star Trek et Star Wars. En 1981, Lori et Gordon ont ramené ce qui était devenu la plus grosse convention annuelle vers le Midwest, et l'ont appelée MidWest*Con.
La deuxième MidWest*Con s'est déroulée en 1982, et tout au long des années 80, on a commencé à voir venir des fans de Starsky et Hutch, Doctor Who, The man from U.N.C.L.E. - des fans de plein de films et de séries. Lori et Gordon ont décidé de changer de nom et de la nommer MediaWest*Con, parce que c'était une convention pour le fandom médias, pour le distinguer du fandom science-fiction, qui se consacrait davantage à la science-fiction littéraire. Et bien sûr, la MediaWest*Con existe toujours. La trentième édition était cette année, en 2010.
Q: Alors c'est comme ça que le fandom médias s'est créé, avec beaucoup de filles qui avaient été proches de leurs pères.
PS : … des pères qui étaient des ingénieurs et des scientifiques, venus de métiers techniques. Je doute que beaucoup d'entre eux aient été prêtres, ou politiciens.
Plus les choses changent, plus elles restent les mêmes
Q: De ton point de vue à long terme, en quoi penses-tu que le fandom a changé ?
PS : Eh bien, ce qui est sûr, c'est que nous avons vieilli. Par nous, j'entends les mères fondatrices ; on continue à être en contact, ici à la MediaWest.
Q: Combien y a-t-il eu de mères fondatrices ?
PS : Je dirais 200, peut-être. Cela dépend du fandom, bien sûr.
Q: De nouveaux fans continuent d'arriver.
PS : Mais cette convention attire toujours majoritairement des baby-boomers. Idem pour les fans de SF, qui ont continué à se rendre aux conventions jusqu'à ce qu'ils ne puissent plus. C'était une part importante de leurs vies. J'ai souvent pensé que la religion, les spectacles canins et les fandoms ont quelques chose en commun. L'histoire primitive de n'importe quelle religion ressemble beaucoup à un fandom qui démarre.
Q: Beaucoup d'activités et de pratiques du fandom – des termes comme « Mary Sue » - sont devenues mainstream. Mais la technologie est différente, certainement.
PS : Mon premier ordinateur avait des transistors, en 1969. Le premier moniteur que j'ai vu, c'était en 1975. Et pour vous dire à quel point je n'y comprenait rien : quelqu'un m'a dit « regarde l'écran » et j'ai dit « pourquoi est-ce qu'on aurait besoin d'un moniteur ? On a les cartes perforées ! [cartes de papiers rigides contenant des informations codées par des trous, NdT] »
Q: Penses-tu que le processus de l'écriture a changé ?
PS :Dans l'écriture, il y a une étape cruciale, celle de la réécriture, qu'on ne voit pas souvent de nos jours. C'est une des différences qu'on a remarquées à la fin des années 90 avec les fans qui arrivaient d'Internet. À l'époque, j'écrivais le premier jet d'une histoire à la main, je la tapais, la relisais, la modifiais, la retapais. Puis, le responsable de publication le lisait, recommandait des changements, et on devait retaper la chose en entier encore une fois. Les histoires passaient plus d'une fois par la machine à écrire, et on changeait beaucoup de choses, des changements lents mais cruciaux. J'ai remarqué cette différence dans ma propre écriture. Maintenant, on écrit quelque chose, on le met de côté, on écrit quelque chose d'autre, on le met de côté, et on mélange le tout.
Q: L'accès au public était également différent. Il fallait attendre son tour, et on mettait très longtemps à être publié dans les fanzines.
PS : Des mois, au moins ! Et si vous ne pouviez pas attendre votre tour, vous commenciez votre propre zine. Une autre différence, c'est le niveau d'alphabétisation des gens qui écrivent – et leur niveau de conscience de leur analphabétisme : « Ben, je m'en fiche que l’orthographe soit mauvaise, parce que c'est comme ça que je veux que ça soit. » C'est peut-être un dédaigneux de dire ça, mais zut, l'orthographe peut complètement gâcher une histoire.
Q: Mais est-ce que les premières histoires étaient vraiment meilleures ?
PS : Eh bien, pas les 90% qui étaient merdiques. Mais les fans de Star Trek écrivaient des trucs vraiment pas mal. Beaucoup d'auteurs fans ont finit par se débarrasser des éléments non originaux de leurs fics et sont devenus professionnels. Aujourd'hui, le saut de l'un à l'autre est plus difficile à faire parce que le marché de l'édition est sur le déclin. Si vous n'écrivez pas un blockbuster, difficile d'attirer l'attention, même si les e-books et le print-on-demand [impression à la demande, NdT] peuvent vous donner une chance.
La hiérarchie de la vieille science-fiction maintenant les choses sur une sorte d'échelle. Vous pouviez être dans un fanzine, et si vous étiez assez bons, vous entriez dans un pulp [les pulp magazines étaient des publications populaires très peu coûteuses qui contenaient surtout des nouvelles fantastiques et de science-fiction, NdT], et si vous étiez encore meilleurs, vous pouviez voir votre livre publié. Quand les femmes ont pris le dessus, le fandom Star Trek s'est démocratisé mais aussi féminisé. Quand c'était pour le pire, on appelait ça l'« empoisonnement à l’estrogène » : il ne fallait rien dire de négatif, sinon on risquait de blesser quelqu'un.
Q: Toi, ça ne t'a pas empêché d'être critique.
PS : Ça ne n'a pas arrêté certaines d'entre nous, non. Je me suis fait massacrer [flamed] pour ça, mais ça allait. Chacun a le droit d’avoir son opinion. Je pense que j'étais assez juste parce que même quand je critiquais quelque chose, je disais toujours ce que j'aimais ou n'aimais pas dans l'histoire elle-même. Par exemple j'ai donné au zine consacré à U.N.C.L.E., Perestroika, cinq étoiles mais j'ai dit que je n'aimais pas certaines choses dedans pour des raisons personnelles. J'ai dit ce qui était bien dedans et aussi ce qui ne m'intéressait pas, et j'ai essayé de séparer les deux choses.
Q: Il y avait plus de critiques à cette époque ?
PS : Je pense que oui, ou en tout cas la critiques était différente. Si vous preniez du temps à écrire une LoC, et leur faire recopier pour qu'ils le mettent dans leur zine, autant qu'elle soit intéressante. Je recevais beaucoup d'attaques parce que je n'étais pas très gentille ni encourageante dans mes critiques, puis j'allais à une convention et j'étais expansive comme je le suis toujours et quelqu'un disait « Tu es très différente de ce qui transparaît dans te textes ; tu es beaucoup plus gentille ! » Quelqu'un m'a dit un jour que j'étais fondante à l'intérieur.
Mais dans mes critiques, j'étais cérébrale. Selon le test Meyer-Briggs, ma personnalité est INTJ [Introvesion, Intuition, Pensée, Jugement, NdT]. Je me suis adoucie en arrivant en master à la fac.
Q: Alors, que sont devenus les mamans du fandom ? Tu es la dernière ?
PS : Pas du tout la dernière, non. Une partie du problème, c'est qu'à nos âges on réduit les contacts parce qu'on est occupées ou fatiguées et c'est difficile de se tenir au courant. Je ne sais pas si, à ma retraite, j'aurai davantage de temps libre, comme ça a été le cas pour Shirley Maiewski, la marraine du fandom Star Trek.
Mais on a bien créé une sorte de réseau. Au début, il y avait Bjo Trimble à Los Angeles, Margaret et Laura Basta à Detroit, Devra Langsam et Joyce Yasner à New York. La bande de August Party, qui organisait les conventions de Farpoint, était de Baltimore. Et Shore Leave était bien au sud, à Houstion. Et Sharon et moi étions à Kalamazoo.
On faisait parti de ce réseau des débuts qui a récupéré les schémas du fandom scienc-fiction et a fonctionné avec. On était l'élément dans ce liquide saturée en sucre qui a permis au bonbon qu'est le fandom de se former. Pour citer un célèbre auteur de science-fiction (R.A. Heinlein) : « Quand l'ère du chemin de fer arrive, on peut prendre le train. »