Une conversation avec Paula Smith
La naissance de Mary-Sue
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Cet article est la traduction d'une page du site OTW.
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Liste de tous leurs articles avec résumé (FR)
Comme cette interview aborde deux sujets distincts, elle est publiée ici en deux parties
L'interview de Paula Smith - Partie I
par Cynthia W. Walker
Traduit par lucyinthesky4
Traduit par lucyinthesky4
Introduction
Cela n'arrive pas à tous les fans, d'avoir une entrée Wikipédia et une mention sur Salon.com consacrées à un terme que l'on a inventé. Mais Paula Smith, elle, sera pour toujours célèbre pour avoir créé l'expression « Mary Sue ». Désormais omniprésente, Mary Sue est apparue pour la première fois dans une satire écrite par Paula, « A Trekkie's Tale », publiée dans Menagerie 2, un fanzine consacré à Star Trek dont elle dirigeait la publication avec Sharon Ferraro. Paula et Sharon ont également mis en place les FanQ Awards, qui se tiennent toujours au MediaWest*Con (une convention médias et science-fiction organisée par des fans, qui a lieu tous les ans lors du week-end du Memorial Day à Lansing, Michigan).
L'histoire de Paula dans le fandom médias [fandom centré sur les œuvres de cinéma et de télévision, NdT] remonte aux débuts du fandom lui-même. Elle n'est partie, comme on dit, de rien, et a contribué à la communauté des fans – et même, elle a aidé à la construire – en tant qu'organisatrice, auteur, rédactrice, dramaturge, éditrice, critique, satiriste, commentatrice et marraine de nombreuses activités du fandom. Bien que son poste actuel comme lectrice dans le département Mathématiques de l'Univeristy of Waterloo à Waterloo, Ontario, ait réduit le temps qu'elle peut consacrer à ses activités de fan, on peut tout de même la trouver tous les ans au MediaWest*Con. Elle y vend des fanzines et des memorabilia dans la salle de vente, discute vivement avec des auteurs de fanfiction jeunes ou vieux, et sert de comissaire-priseur dans la vente aux enchères du samedi soir.
Cette interview a eu lieu le 29 mai 2010 au MediaWest*Con, Lansing, Michigan.
Quarante ans de Mary Sue
Q : Alors, d'où vient Mary Sue ?
PS : Cela remonte au début des années 1970, lorsque que le fandom Star Trek commençait à peine à se séparer du fandom science-fiction mainstream. À cette époque, je me rendais à beaucoup de conventions et j'achetais tous les fanzines que je trouvais. C'était une explosion de textes ronéotypés et de manuscrits. Peu de zines étaient photocopiés à ce moment-là. Je lisais tout. Il y avait beaucoup de bonnes choses. Beaucoup d'excellentes choses. Mais aussi énormément d'horreurs.
Comme l'a dit Theodore Surgeon, 90% de tout est de la merde. La chose étonnante, c'était que cette merde possédait des schémas récurrents. J'aime repérer ces schémas, et on voyait bien que tous les fanzines Star Trek à l'époque avait une histoire principale qui parlait d'une adolescente qui était la plus jeune yeoman, ou la plus jeune lieutenant de toute l'histoire de Starfleet. Elle débarque sur l'Enterprise, et tout l'équipage tombe amoureux d'elle. Puis il y a des aventures, mais la chose notable était que toutes ces aventures tournaient autour de ce personnage. Le reste de l'univers fait des courbettes devant elle. Elle avait aussi généralement un trait physique particulier – des yeux ou des cheveux d'une couleur étrange – ou alors elle était à moitié Vulcain. Ces histoires donnaient l'impression d'avoir été écrits environ une heure et demi avant l'impression du fanzine ; elle n'était généralement pas très bonnes.
Puis il y eut cette histoire particulière. Je ne me rappelle plus le titre du fanzine, mais je me souviens très bien que le dessin de couverture représentait des canards jaunes. Ça ne semblait pas avoir un grand rapport avec Star Trek, mais j'imagine que ça avait un sens pour l'auteur. Dans celui-ci, il y avait non seulement l'adolescente qui était lieutenant et dont Kirk et Spock tombent immédiatement amoureux – je crois que Scotty et McCoy aussi – dès son arrivée sur le pont, mais ils se retiraient tous et étaient très respectueux, parce qu'elle n'avait d'yeux que pour Chekov.
Donc, durant leurs aventures, tout le monde se téléporte sur la planète et est capturé par les extraterrestres, et ce personnage parvient à les libérer parce que (sans blague) elle possède une épingle à cheveux. Quand ils regagnent le vaisseau, elle tombe malade. Elle avait attrapé quelque chose là-bas, et elle meurt.
Et là, elle ressuscite. [L'intervieweur sourit] Je vois à ton visage que tu essaies de t'empêcher de faire un commentaire, mais moi je n'ai pas pu résister. J'ai commenté ça dans le numéro de décembre 1973 de Menagerie 2, que Sharon et moi publiions. J'étais épuisée par mes études à la fac et j'ai griffonné ça : " - Ça alors, bon sang de bois, incroyable ! pensa Mary Sue en posant le pied sur le pont de l'Enterprise." [NdT : Le texte complet est en bas de la page]
Q: C'est comme ça que ça a commencé ?
PS: Oui, et ça aurait pu s'arrêter là mais j'ai commencé à écrire des LoC – letter of comments [lettres envoyées au créateur d'un fanwork pour commenter son œuvre, NdT] – et des critiques de fanzines dans d'autres fanzines. Bref, parce que c'était toujours le début des années 70, ils y avait encore un max de ces histoires qui sortaient. Alors quand on voulait un terme pour faire allusion à ces fictions, Sharon et moi avons commencé à les appeler les histoires de « Lieutenant Mary Sue ». Nous avons expliqué pourquoi les deux ou trois premières fois que nous avons utilisé ce terme, mais il s'est vite répandu parce qu'elle est très reconnaissable : la voilà, c'est toujours le même personnage, et c'est bien dommage, parce qu'elle fatigante !
Et là, on a commencé à voir dans le courrier des lecteurs la réaction des auteurs : « Qu'est-ce qu'elle a de si mauvais, mon histoire ? Je raconte juste une histoire que je trouve super. ». Et nous répliquions : « Oui, mais le problème, c'est que la présence de la Mary Sue fait que tous les autres personnages de l'histoire s'éloignent de la personnalité qu'on leur connaît. » Parce qu'en fanfiction, nous n'écrivez pas sur un univers inconnu, et les lecteurs s'attendent à une certaine caractérisation des personnages.
D'un autre côté, quand on y pense, pourquoi est-ce que ce serait grave de changer les personnages ? Un excellent personnage original peut justement avoir cette fonction, mais ça ne doit pas forcément être une Mary Sue.
Par exemple, à partir de 1976, on voyait la Sadie Faulwell de Paula Block dans la série des « Landing Party », dans un zine du nom de Warped Space. C'était un « roman à clef » sur Paula Block et ses amis. Il s'agissait en fait de personnages en forme d'auto-portraits, mais pour une raison ou une autre, ils étaient plus mesurés. Elle décrivait McCoy tombant amoureux de Sadie, mais ça ne changeait pas nécessairement le personnage, ça ne changeait aucun personnage, et les histoires restaient intrigantes en elles-mêmes. Est-ce que c'était une Mary Sue ou non ?
Q: Ce qui aidait aussi, c'est que Paula Block était un bon auteur.
PS : Oui. Comme auteur, elle donnait beaucoup plus de choses qu'elle n'en exigeait du lecteur. Elle nous donnait un personnage que nous pouvions reconnaître dans une certaine mesure, mais n'exigeait pas que nous tombions amoureux de ce personnage. On pouvait décider soi-même si l'on aimait Sadie ou pas. Toi et moi avons discuté, une fois, de la trop grande place prise par la Mary Sue.
Q: Il n'y a qu'un espace limité dans un personnage, et, avec un peu de chance, on en laisse assez pour que le lecteur puisse y prendre place, lui aussi.
PS : Une histoire demande de la place mentale, et la Mary Sue veut débarquer et occuper toute votre tête, alors c'est l'auteur qui se fait plaisir et non le lecteur. C'est un peu comme s'il était manipulé. J'imagine que c'est pour ça que beaucoup de gens ont été d'accord avec nous.
Q: Alors les gens ont commencé à utiliser le terme ?
PS : Sharon et moi menions la chose, bien sûr, en disant « Ceci est une Mary Sue, ceci n'en est pas une. » On faisait des tables rondes, lors des premières convention « médias », et il y avait des discussions animée : qu'est-ce que ça signifie ? Le concept s'est répandu et a été repris par d'autres. Ce n'était pas toujours utilisé de façon dénigrante. La Mary Sue était comme une étape nécessaire pour un auteur.
Q: Je suis plutôt d'accord pour dire que c'est une étape dans l'écriture. Quand j'enseigne l'écriture de scénarios, je remarque que je reçois deux types de scripts de la part des jeunes auteurs : les histoires fondés sur leur série ou film préféré, et les histoires où ils se mettent en scène eux-mêmes. Parfois les deux.
PS : Quelqu'un m'a dit un jour que la présence d'une Mary Sue dans une histoire est comme un trou noir, une étoile à neutrons, parce qu'elle détourne tout le reste sort de son orbite habituel.
Q: Et maintenant, tu es citée un peu partout, sur Wikipédia et dans cet article récent sur Salon.com. Qu'est-ce que ça te fait ?
PS : Oh, bon sang ! Quand des gens m'ont signalé l'article de Salon.com, j'ai mis du temps à réaliser. J'ai simplement donné un nom à anomalie, j'ai trouvé un nouvel élément. J'ai identifié un morceau d'humanité et je lui ai donné un nom, mais c'est tout. Tout ce que je sais sur Mary Sue, ce sont les autres qui me l'ont dit.
Vers 1999, Pat Pflieger m'a envoyé une copie d'un article qu'elle avait écrit, qui consistait à repérer la Mary Sue dans les fictions du XIXème siècle. Trop belle pour être vraie : 150 ans de Mary Sue . C'était toujours pareil : La très jeune et très unique jeune fille qui mourait. Pensez à Eva dans La case de l'oncle Tom.
Durant toutes ces années, j'ai réfléchi à ce que la Mary Sue peut bien signifier sur le plan psychologique. La conclusion que j'ai atteinte est qu'elle représente l'adolescente qui trouve enfin un pouvoir. Ce pouvoir, c'est celui de son attirance sexuelle. Beaucoup de Mary Sue ont été écrites pendant les années 70 et elles étaient écrites par des auteurs nées dans les années 40 et 50, pas encore l'époque de la libération féminine. Et tout à coup, quand une fille mûrit, les gens commencent à la regarder. Psychologiquement, donc, c'est une étape du développement des jeunes filles. En ce qui concerne les jeunes garçons...
Q: Le Marty Stu ?
PS : Plutôt le Wesley Sue. Les gens ne remarquent jamais vraiment la version masculine. J'ai été frappée quand le film Doc Savage arrive ! est sorti. Je me suis dit : ça aussi, c'est une Mary Sue !
Q: C'est aussi le cas de James Bond. Et Superman a été créé par deux adolescents.
PS : Bien sûr. N'importe lequel de ces personnages qui réalisent tous vos désirs, dont la présence dans n'importe quel univers en déforme totalement la réalité. Mais on ne le remarque pas quand ça concerne des hommes.
Q: Et pourtant, si on ne trouve rien de l'auteur dans les personnages...
PS : Elle est foutue, l'histoire est foutue, exactement. La personnalité de l'auteur est comme une levure dont on a besoin. On veut que ça lève, mais on ne veut pas devoir manger seulement la levure.
Q: Alors pourquoi Superman et James Bond ont-ils du succès, alors qu'on a tendance à éviter leurs versions féminines ?
PS : Parce que le monde dans lequel nous vivons n'est pas seulement un patriarcat, c'est un « puerarcat » - ce qui reçoit le plus d'attention dans notre culture est défini par les garçons et les jeunes hommes. Psychologiquement, il y a un tournant dans la vie des hommes. Il y a un moment où ils doivent s'éloigner des femmes, dans leur jeunesse, pour y revenir plus tard en tant qu'adultes, mais beaucoup n'y arrivent pas. Ils ne reviennent jamais vraiment à un monde qui considérerait les femmes comme des êtres humains à part entière.
Q: Que penses-tu des gens qui utilisent le terme « Mary Sue » pour critiquer tous les personnages féminins ?
PS : C'est ce qu'on faisait nous aussi dans les années 70, j'en ai été un peu coupable parfois. Mais j'ai essayé de faire une distinction. Je savais – je le savais – qu'il y avait une différence. Que quand vous aviez créé un personnage qui comblait tous vos désirs, il vous fallait encore laisser un peu de place au lecteur pour respirer. Mais oui, il y avait beaucoup de « Tu ne peux pas faire ça, ce personnage est une Mary Sue ».
Q: C'est devenu très compliqué.
PS : Il y a maintenant deux définitions, et celle qui est positive, c'est : Oui, c'est une Mary Sue, mais l'auteur fait bien les choses. La Sadie Faulwell de Paula Block est un bon exemple. Connie Faddis a créé un beau personnage également. Tout comme Barbara Wenk.
Q: Comment décrirais-tu la bonne manière de le faire ?
PS: Deux choses. D'abord, tu dois donner au lecteur une place à occuper dans le personnage, et deuxièmement, il ne faut pas que ça déforme les autres personnages. Tu ne peux pas changer la personnalité des personnages et les rendre méconnaissables. C'est cela, le merveilleux travail d'équilibrage que doit réaliser tout auteur. Pour écrire quoi que ce soit, tu dois avoir une intrigue, des personnages, un environnement, un thème, un motif, et le reste – et tu dois insuffler de la vie à tout ça. Tu dois créer un personnage intéressant, humain, avec ses faiblesses propres, mais qui est assez intelligent et a assez de « cœur » pour être un minimum conscient de soit. Ce doit être un vrai héros ou une vraie héroïne que nous, les lecteurs, voulons accompagner.
Q: Est-ce que tu penses que les auteurs qui écrivent des Mary Sue sans intérêt ne sont simplement pas conscients d'eux-mêmes ?
PS : Je pense que ça joue un rôle majeur. Ils sont si peu conscients d'eux qu'ils pensent que leur histoire, tellement inspirée et qui leur tient tellement à cœur, doit également tenir à cœur à tout le monde. J'ai imaginé des Mary Sue – nous le faisons tous – simplement, je ne les ai jamais écrites. Je vivais mes petites aventures dans ma tête, je me baladais. Maintenant, avec Internet, tout le monde peut publier ses histoires... et c'est ce que les gens font.
Q: Alors les choses n'ont que peut changé avec Internet.
PS : Je pense qu'Internet récapitule en quelques sortes le fandom de Star Trek des débuts. Pour paraphraser : « Il est venu une génération, et elle ne connaissait pas les polycopiés ». Les vieux letterzines ont complètement disparu aujourd'hui, mais ce sont toujours les mêmes débats qui reviennent.
6. « A Trekkie's Tale »
Publié anonymement par Paula Smith dans Menagerie 2 (1973).
— Ça alors, bon sang de bois, incroyable ! pensa Mary Sue en posant le pied sur le pont de l'Enterprise. Me voilà, le plus jeune lieutenant dans la flotte, et je n'ai que 15 ans et demi.
Le Capitaine Kirk s'approcha d'elle.
— Oh, Lieutenant, je vous aime comme un fou. Voulez-vous m'accompagner au lit ?
— Capitaine ! Je ne suis pas ce genre de fille !
— Vous avez raison. Et je vous respecte pour cela. Allez, prenez les commandes du vaisseau pendant que je vais nous chercher du café.
M. Spock vint sur le pont.
— Que faites-vous à la place du commandant, Lieutenant ?
— Le Capitaine me l'a demandé.
— C'est logique. J'admire votre raisonnement.
Le Capitaine Kirk, M. Spock, le Dr McCoy et M. Scott se téléportèrent avec le Lieutenant Mary Sue sur Rigel XXXVII. Ils furent attaqués par des androïdes verts et jetés en prison. Dans un moment de faiblesse, le Lieutenant Mary Sue révéla à M. Spock qu'elle aussi était à moitié Vulcain. Se remettant vite, elle fit sauter le cadenas avec son épingle à cheveux et ils revinrent tous sains et saufs au vaisseau.
Mais de retour à bord, le Dr McCoy et le Lieutenant Mary Sue découvrirent que les hommes qui s'étaient téléportés étaient frappés par le rhume sauteur, sauf Mary Sue qui l'était beaucoup moins. Alors que les quatre hommes végétaient à l'infirmerie, le Lieutenant Mary Sue dirigeait le vaisseau, et le dirigeait si bien qu'elle reçut le Prix Nobel de la Paix, l'Ordre Vulcain de la Bravoure et l'Ordre Tralfamadorien des Gens Biens.
Cependant, la maladie finit par la rattraper et elle tomba fatalement malade. À l'infirmerie, comme elle poussait son dernier soupir, elle était entourée du Capitaine Kirk, de M. Spock, du Dr McCoy et de M. Scott qui pleuraient tous, sans honte, la perte de sa belle jeunesse et de sa jeune beauté, de son intelligence, de sa capacité et de sa resplendissante gentillesse. Depuis ce jour, son anniversaire est devenu fête nationale sur l'Enterprise.
FIN.