Star Trek,Ténébreuse et la fan fiction
Origine de la fanfiction moderne (1)
L'interview ci-dessous provient du blog de Henry Jenkins : Confession of an Aca-fan
Henry Jenkins
est le doyen du département de communication, journalisme et arts du cinéma à l’université de Californie du Sud après avoir été durant dix ans directeur du programme d’études comparées des médias au Massachusetts Institute of Technology (MIT). Il est l'auteur d'une douzaine de livres sur divers aspects des médias et de la culture de masse.
Pour une meilleure compréhension de cette article, je précise quelques éléments.
A l'origine, les terme Fan fiction
et fanzine
désignent de la fiction ORIGINALE écrite par des fans de science fiction et publiées dans des magazines amateurs, distribués lors des conventions de SF.
Les fanzine étaient eux-même élaborés sur le modèle des "anthologies", recueil de nouvelles de science fiction amateure. Ce sont dans ces anthologies que les grands noms de la SF (I. Azimov par exemple) ont été publiés en premier lieu. Les fanzines rassemblaient des nouvelles qui n'avait pas le niveau semi-professionnel de ces anthologies. Peu à peu, certains ont accueillis des récits de fanfiction (notamment sur Star Treck) et c'est ce tournant qui est raconté ci-dessous.
Préface
Joan Marie VERBA a passé un diplôme de physique à l’University of Minnesota Institute of Technology et a été assistante à l’école d’astronomie de l’Indiana University durant un an. Elle a exercé les métiers de programmeur informatique, rédacteur, éditeur et a été donné des conseils en matière de perte de poids.
Côté écriture, elle a été auteur des livres tels que que Voyager : à la découverte des planètes non atmosphériques, Ecrire avec audace (Boldly Writing), et Réussir à perdre du poid. Elle a également écrit des romans : Countdown to Action, Action Alert, and Deadly Danger. Elle a aussi édité sur internet des nouvelles et des articles. Elle est membre du Science Fiction and Fantasy Writers of America et de la Society of Children's Book Writers and Illustrators. Elle a siégé aux conseils d'administration du Minnesota Science Fiction Society et la de la Société Mythopoeic.
Quand le livre Boldly writing : A trekker Fan and Zine History 1967-1987
, de Joan Marie Verba a été publié, j’ai écrit ce billet :
Ce livre regroupe une incroyable base d’informations sur l’histoire du fandom et rend un service majeur à quiconque veut revivre ces années excitantes ou mieux comprendre comment Star Trek a pu émerger en tant que phénomène important, national et international. Je vais vous donner un indice : si Star Trek existe, c’est grâce à ce que les premiers fans, comme Verba en ont fait. Je conseille fortement ce livre à toute personne intéressée par le fandom - ce qui veut dire quiconque est intéressé par la culture populaire.
JM Verba est l’une des mères fondatrices du fandom moderne et, par son rôle d’archivistes et chroniqueuse, a aidé à façonner une nouvelle identité - celle des fans. Nous avons vu d’autres projets de fans voir le jour ces dernières années, particulièrement sur Internet, mais parce que Star trek fut dans une certaine mesure le ur-fandom, le modèle sur lequel les autres se sont alignés, ce livre continue d’occuper une place spéciale dans ma bibliothèque et, d’ailleurs, je le vois dans nombre de bibliothèques de lecteurs d’aca-fen du monde entier [aca-fan/ aca-fen (au pluriel) : ceux qui étudient le phénomène de fan].
Tout comme beaucoup de fans avant elle, JM Verba a trouvé le moyen de transformer ses passions en profession en publiant de façon croissante, en tant qu’ écrivaine scientifique et maintenant en tant qu’auteure d’une saga de romans ‘professionnels’ basé sur Thunderbirds [Les sentinelles de l’air]], la création de Gerry Anderson. Aujourd’hui, je vous propose une interview de JM Verba.
Pour commencer, elle nous parlera de ses premiers implications dans les fandoms Star Trek et Ténébreuse. La prochaine fois, elle nous parlera de son travail plus récent qui vise à développer et garder l’intérêt populaire autour de Thunderbirds, une autre série des années 1960 qui refuse de s’éteindre [la seconde interview ne sera pas traduite].
Interview
Votre livre, Boldly Writing (Ecrire avec audace), est devenu une chronique irremplaçable des premières fanfictions écrites sur Star Trek. Pouvez-vous nous dire pourquoi vous vous êtes lancée dans dans le fandom qui en était à ses débuts
J’ai regardé Star Trek depuis sa diffusion sur les écrans en 1966. J’ai découvert le fandom de cette série quand j’étais en première au lycée, lors d’un concours d’éloquence local. Lors d’une des pauses, l’un des participants, Anthony Tollin, a évoqué la World Science Fiction Convention, ce qui a attiré mon attention. Il a parlé aussi de Star Trek, et m’a dit qu’une fan locale, Ruth Berman, publiait un fanzine de Star Trek . Il m’a donné son numéro de téléphone et je l’ai appelé pour avoir plus de renseignements. C’est comme ça que j’ai commencé. Son fanzine faisait la publicité pour d’autres fanzines. Je les ai commandés et ceux-ci en avaient à leur tour sur d’autres fanzines. Je les ai commandé, et ainsi de suite.
En 1972, quand j’étais à l’université, je suis allée à ma première convention : la Detroit Triple Fan Fair [convention multi genre se tenant à Détroit dans le Michigan]. Genre Roddenberry et Majel Barrett y étaient. Je les ai rencontrés en tête à tête dans un ascenseur et j’ai obtenu leurs autographes. En 1973, j’ai rejoint la Minnesota Science Fiction Society et Helen Young m’a invitée à rejoindre le Star Trek Welcomittee –je suis restée au STW jusqu’à sa dissolution au milieu des années 90. Je suis allée à ma première World Science Fiction Convention en 1975, et aussi rejoins le Mythopoeic Society la même année.
Mes toutes premières activités dans le domaine du fandom étaient centrées autour des fanzines et des publications des ¶uvres des fans. Durant l’époque pré-Internet, ceux-ci étaient nos moyens de communication de base. J’étais une écrivaine qui envoyait beaucoup de lettres aux newsletters et ‘letterzines’, et je contribuais aussi régulièrement au Minneapa (sorte de liste de diffusion par courrier). Je lisais et commentait des fanfictions également.
Ma première nouvelle pour fanzine – c’était de la science-fiction, mais pas basée sur Star Trek - a été publiée dans Masiform D. Cela a mit du temps avant que ma première fan fiction de Star Trek le soit aussi, non pas parce que je n’en écrivais pas, mais parce que je les envoyais à des fanzines dont les responsables avaient un niveau d’écriture et des compétences dignes de professionnels - contrairement à d’autres qui publiaient tout et n’importe quoi. En effet, avec du recul, mes histoires d’alors n’étaient pas excellentes : mes premières fanfictions furent rejetées, mais avec des critiques qui m’ont permis de m’améliorer doucement jusqu’à ce que mes histoires soient acceptées. Et puis j’ai publié mes propres fanzine et newsletters, mais pas avant les années 80, quand j’ai estimé que j’en savais assez sur les fanzines, l’écriture et leur production pour fournir un produit de qualité.
Quelle relation existe-t-il entre la montée en puissance des fanzines de Star Trek et la longue tradition de l’édition des fanzines de science-fiction ?
A quelques rares exceptions, la grande majorité des premiers fanzines ont été publiés par des fans de SF qui avaient lu et/ou publié des fanzines de SF. (Même si à l’époque de Star Trek, il y avait très peu de fanzines de SF qui publiaient des fictions, puisqu’il y avait suffisamment de magazines professionnels de science-fiction à qui les auteurs pouvaient soumettre leurs nouvelles. Pour les auteurs du fandom Star Trek, il n’y avait pas de possibilité, ou si peu, d’être publiés en dehors des fanzines qui répondait à une forte demande de lecteurs et d’auteurs.)
Une fois que des fanzines Star Trek furent établis, les lecteurs, sans aucune connaissance des fanzines de SF, se mirent à lire ceux sur Star Trek et eurent l’idée de publier leurs propres fanzines Star Trek.
[NdT : Quand il est fait allusion à des fanzine de SF, il s’agit d’histories originales, pas de fanfiction. A l’époque, les jeunes écrivains de SF, comme l’avait fait Isaac Azimov dans les années 50, envoyaient leurs écrits à des éditeurs exigeants. Les fanzines publaient des textes qui n’étaient pas assez bons pour être retenus dans les antologies. Ce n'est que plus tard que le terme de "Fanzine" a été utilisé pour désigner les recueils de fanfictions]
Quels liens peut-on établir entre la publication de fanzines et les lettres écrites par des fans pour que les séries restent programmées à la télé ?
Je sais qu’une petite poignée de fanzines et newsletters dédiés à Star Trek ont été lancés à l’époque où John et Bjo Trimble ralliaient les fans pour qu’ils écrivent des lettres à la Paramount pour leur demander de réaliser une troisième saison de Star Trek – ou pour protester contre l’annulation de la fin de la troisième saison. Ceux qui existaient déjà ont bien sûr encouragé les fans à contribuer à ces campagnes de lettres ouvertes.
Les fanzines de Star Trek et les newsletters, cependant, ont été essentiels à la réalisation de ces campagnes via lettres interposées pour ramener Star Trek, d’abord en tant que série animée, et puis sous forme de long-métrage.
La brève mais influente Star Trek Association for Revival a dépensé beaucoup d’énergie dans cette campagne d’envoi de lettres. Le Star Trek Welcomittee promouvait toujours sa renaissance, jusqu’au jour où les films sont arrivés sur les écrans et se sont perpétués. Parallèlement, beaucoup de fanzines et newsletters de fans existaient avant la sortie de Star Trek : Le film avaient encouragé leurs lecteurs à écrire à la Paramount dans ce sens.
Vous avez participé à des fan fictions de Ténbreuse aussi bien que pour Star Trek. Quelles comparaisons pourriez-vous tirer entre les relations que les fans et les réalisateurs officiels entretiennent avec les ¶uvres, pour chaque cas ?
Gene Roddenberry encourageait les fanzines et les newletters, ce qui créait une synergie. Lui et ses assistants donnaient des infos aux rédacteurs et éditeurs de fanzines ou directement aux fans lors des conventions – il a fait une allocution annuelle à la August Party convention durant plusieurs années. En particulier, l’avancée de Star Trek: The Next Generation a été documentée en détail dans les newsletters, via les informations fournies par Gene Roddenberry et ses assistants. Les fans ont eux aussi eu une influenc sur le film. Par exemple, à l’origine, il n’y avait pas Klingons dans Star Trek: The Next Generation. Après que des fans le lui aient suggéré, il a ajouté Worf.
Harve Bennett communiquait aussi régulièrement avec les fans par l’intermédiaire des newsletters comme Interstat ainsi que lors de ses apparitions aux conventions. Il a écouté et répondu aux critiques faites sur ses productions, et il semble avoir pris en compte les préférences des afficionados pour tous les films Star Trek qu’il a produit, même s’il n’a jamais pu satisfaire tout le monde.
Marion Zimmer Bradley communiquait beaucoup avec les fans de Ténébreuse. Elle avait une newsletter officielle qu’elle et son assistant produisaient et publiaient, ainsi qu’un site de fan officiel. Elle corrigeait et publiait les histoires de fans écrites sur Ténébreuses, incluant les miennes. Quand la maison d’édition DAW Books a publié son anthologie officielle de Ténébreuse, Marion m’a demandé à moi et d’autres collaborateurs de son fanzine officiel de contribuer à ces anthologies. Mes histoires pour Ténébreuses ont fait partie de toutes les anthologies, sauf une.
Gene Roddenberry et Harve Bennett connaissaient toutes les deux l’existence des fanfictions et en lisaient occasionnellement. ( Un point intéressant, j’ai découvert des fanfictions écrites par Marion Zimmer Bradley dans des fanzines de Star Trek.) Marion lisait avec beaucoup d’attention les fanfictions qu’on lui envoyait, et elle les publiait - elle a gentiment publié mon histoire sur Lady Bruna, en me disant qu’elle l’avait trouvé intéressante bien qu’elle m’ait précisé tout de suite qu’elle était différente de la version officielle de l’histoire de Lady Bruna. J’ai apprécié sa version de l’histoire de Lady Bruna, elle a apprécié la mienne. Il y avait beaucoup d’admiration mutuelle : quand la santé de MZB a commencé à se détériorer, elle a engagé des fans de Ténébreuse et des écrivains pour continuer les séries de romans de Ténébreuse de façon professionnelle.
L’influence des fan fictions a-t-elle été largement ressentie seulement dans le milieu des fandoms - comme une sorte de prototype de beaucoup de fandoms ultérieurs - ou bien a-t-elle aussi été ressentie au niveau de la production commerciale et populaire de Star Trek ?
Comme je l’ai mentionné avant, l’équipe de production de Star Trek était généralement au courant de l’existence de la fanfiction et de l’opinion des fans, et cela a eu des conséquences.
On m’a rapporté que la raison pour laquelle Bashir dans Deep Space Nine a eut une si courte amourette avec Leeta et pourquoi il n’a pas eu de relation avec Dax avant le tout dernier épisode, c’est que l’équipe de réalisation était très au fait qu’il y avait beaucoup de femmes amoureuses de Bashir et que, pour cette raison, elles ne voulaient pas que Bashir soit définitivement en couple avec quelqu’un. En tant que rédactrice et éditrice de la newsletter officielle du fan club de Bashir de l’époque, je sais que l’équipe de réalisation de DS9, même si elle ne lisait pas de fan fictions, était parfaitement au courant de l’opinion des fans sur la plupart des personnages - presque tous ceux de DS9 avaient un fan club officiel - et, de temps en temps, cela avait des conséquences sur ce qui pouvait arriver à l’écran. Je sais que certains acteurs de DS9 lisaient des fanfictions et je ne serais pas surprise d’apprendre que d’autres membres de la production en faisaient autant.
Vous avez mis fin à votre participation à la fin des années 80, juste avant que Internet commence à avoir un impact sur la publication des fanfictions. Quel est l’évolution la plus profonde dans le monde de la fanfiction – pour Star trek ou les autres - depuis que vous êtes partie ?
En fait, j’ai lu peu de fanfiction depuis le début des années 90. Je me suis concentrée sur mon propre travail dans l’édition professionnelle et j’ai manqué de temps pour suivre l’aspect culturel de l’actuelle fanfiction sur internet. (Quand j’étais impliqué dans la fanfiction, je n’étais pas loin de penser que le temps que je passais dessus équivalait à un travail à plein temps).
Pour le peu que j’en sais, Internet a changé le processus de manière significative. Quand les fanfiction s’imprimaient, les auteurs envoyaient leurs histoires à des éditeurs de fanzine, ou peut-être quelques amis lisait l’histoire avant sa parution. Une fois publié, l’auteur de fanfiction recevait parfois un retour, parfois non. Beaucoup de ces auteurs pré-internet se plaignaient du manque de réponse. Bien entendu, le lectorat était peu étendu – limité par le nombre de fanzine publiés, de l‘ordre de quelques centaines d’exemplaires au mieux. Maintenant les histoires peuvent recevoir un retour immédiatement, il n’y a plus d’éditeur (même si j’ai compris qu’un système de relecteur s’est mis en place), et le texte est potentiellement accessible à des milliers, si ne n’est pas des millions de lecteurs à la fois et recevoir pleins de commentaires est non seulement possible, mais courant.