Transmedia Storytelling 101
L'interview ci-dessous provient du blog de Henry Jenkins : Confession of an Aca-fan
Henry Jenkins
est le doyen du département de communication, journalisme et arts du cinéma à l’université de Californie du Sud après avoir été durant dix ans directeur du programme d’études comparées des médias au Massachusetts Institute of Technology (MIT). Il est l'auteur d'une douzaine de livres sur divers aspects des médias et de la culture de masse.
Introduction
J'ai écrit cet aide-mémoire sur la narration transmedia (Ndt : "transmedia storytelling") pour le distribuer à mes étudiants. Plus récemment, je l'ai distribué lors d'un atelier que j'ai animé pour la Society for Cinema and Media Studies . J'ai pensé que ce pourrait vous être utile à vous aussi. Une bonne part découle de ce que j'ai exposé à ce sujet dans mon livre Convergence Culture, auquel j'ai ajouté les récents développement apportés au sujet.
Pour ceux qui veulent aller encore plus loin, vous pouvez écouter la version webcast de Transmedia Entertainment qui vient des conférences sur les loisirs du futur (Futures of Entertainment Conference).
1. Définition
La narration transmedia est un processus où l'ensemble des éléments d'une fiction sont volontairement fragmentés en canaux médiatiques multiples afin de créer une expérience de divertissement unifiée et coordonnée. Idéalement, chaque média délivre une contribution unique et utile au déploiement de l'histoire.
Ainsi, par exemple, dans la franchise de Matrix, les clés de compréhensions sont mises à disposition dans trois films, des courts-métrages animés, deux séries en bandes dessinées et plusieurs jeux vidéo. Il n'y a pas de source unique ou ur-texte vers quoi se tourner pour acquérir toute les information requises pour comprendre l'univers de Matrix.
2. L'aspect économique
La narration transmedia reflète l'économie de la fusion des médias, ce que les observateurs de l'industrie nomment la "synergie". Les sociétés de média modernes sont organisées horizontalement - c'est à dire qu'elles tirent leurs bénéfices de toute une gamme de ce qui était autrefois des industries médiatiques distinctes. Les conglomérats de médias ont tendance à diversifier leur marque et étendre leurs franchises sur le plus de différentes plates-formes de médias possible.
Prenez par exemple les bandes dessinées mises sur le marché avant la sortie de films tels que Batman Begins ou Superman Returns par DC (possédé par Warner Brothers, le studio qui a produit les films). Ces BD ont fourni le back-story (Ndt : background story, contexte) qui a enrichi l'expérience des spectateurs du film, tout en préparant l'arrivée de la version filmée (ce qui a rendue floue la frontière entre marketing et divertissement).
La configuration actuelle de l'industrie du divertissement a transformé l'expansion du transmedia en impératif économique et les artistes de transmedia les plus doués intègrent aussi ces pressions du marché pour créer des histoires plus étendue et plus immergées qu'ils ne l'auraient fait dans un autre contexte.
3. Des univers complexes
Le plus souvent, la narration transmedia mettent en scène non pas sur un personnage particulier ou sur un scénario unique mais se basent un univers fictif plutôt complexe qui sert de support à des personnages ayant des relations inter-personnelles et des histoires multiples. Ce processus d'édification d'univers incite tant les lecteurs que les auteurs à avoir des impulsions encyclopédiques. Nous sommes programmés pour tenter de maîtriser les connaissances d'un univers que son expansion éloigne de notre entendement.
Espérer rassembler les éléments indispensable pour trouver du sens à une histoire particulière est un plaisir particulier qui s'ajoute à ce que propose l'espace fermé des récits construits de manière classique.
4. Les fonctions de la diversification des médias
La diversification peut remplir diverses fonctions différentes.
Par exemple, la BBC a utilisé une série radiophonique pour soutenir l'intérêt du public de Docteur Who durant la quasi-décennie au cours de laquelle aucun nouvel épisode de télévision n'a été produit. La diversification permet également d'aller plus loin dans la caractérisation des personnages comme ce fut le le cas avec les sites internet sur Dawson's Creek et Veronica Mars qui ont publié la correspondance et les journaux intimes imaginaires des héros. Elle peut aussi enrichir l'univers imaginaire comme dans la version du Daily Planet mise en ligne chaque semaine par DC pendant la publication de sa série "52" pour "rendre compte" des événements se produisant dans l'univers de son super héros. Elle peut également servir de transition pour introduire les événements mis en scène dans une suite comme l'a fait la série animée The Clone War qui a été diffusée sur Cartoon Network pour combler la période de temps entre le Star Wars II et III.
La diversification peut en outre insuffler du réalisme à une fiction comme cela s'est produit quand de faux documents et une chronologie ont été mis en ligne sur le site internet lié à The Blair Witch Project ou, d'une manière différente, quand des documentaires et des CD-rom produits par James Cameron ont fait connaître le contexte historique du Titanic.
5. Augmentation potentiel du marché
Les pratiques de la narration transmedia peuvent augmenter les débouchés d'un produit sur le marché en créant différents points d'entrée pour de différents segments de public. Ainsi, par exemple, Marvel a produit des bandes dessinées sur Spider-man sous des formes qu'il estimait particulièrement adapté au lectorat féminin (une BD romantique, Mary Jane Loves Spiderman) ou aux plus jeunes (livre de coloriage ou de livre d'images d'histoires classiques de Comics). De même, la stratégie peut fonctionner pour inciter un public habitué à un média particulier à expérimenter des formes alternatives de médias comme dans le développement d'un jeu sur Desperate Housewives conçu pour attirer les spectatrices d'un certain âge vers le domaine des jeux en ligne.
6. Compréhension additionnelle
Idéalement, chaque épisode individuel doit être compréhensible en lui-même tout en apportant une contribution unique au système narratif dans son ensemble.
Le concepteur de jeux Neil Young a inventé le terme, comprehension additionnelle (Ndt : "additive comprehension"), pour exprimer la manière dont chaque nouveau textes ajoute une information nouvelle qui nous force à mettre à jour notre compréhension de la fiction dans son ensemble. Il prend comme exemple l'ajout de la scène de la licorne en origami dans la version director's cut de Bladerunner, élément qui a soulevé la question de savoir si le protagoniste pourrait être un replicant (Ndt : robot androïde possédant des fonctions biologiques identiques à celles des humains ).
Les producteurs de transmedia ont constaté qu'il était difficile de réaliser l'équilibre parfait dans la conception d'une histoire ayant du sens dès la première fois qu'on la voit et l'élaboration d'un ensemble formé d'éléments apportant une forme de compréhension nouvelle au public au cours de sa découverte des médias multiples.
7 . Organisation des licenses
Parce que la narration transmedia implique un haut degré de coordination entre les divers médias utilisés, cela a jusqu'ici mieux fonctionné soit dans des projets indépendants où un même artiste crée l'histoire à travers tous les médias impliqués soit dans les projets où une forte collaboration (ou co-création) est encouragée entre les différents secteurs de la même entreprise. La plupart des franchises de médias cependant ne sont pas en co-création (qui implique de concevoir le partage des droits en termes de transmedia dès le début) mais plutôt en cession de licences (le média dans lequel l'histoire a été originellement créé reste le média auxquels sont subordonnés les autres).
8. Connaissance collective
La narration transmedia est la forme esthétique idéale d'une ère de connaissance collective (Ndt : "collective intelligence"). Pierre Levy a inventé ce terme pour rendre compte des nouvelles structures sociales qui permettent la production et la circulation des connaissances dans une société organisée en réseau. Les participants mettent en commun l'information et puisent dans l'expertise de chacun pour résoudre les problèmes de manière collective. Levy affirme que dans cette ère de connaisance collective, l'art fonctionne comme un aimant culturel, attirant des individus semblables pour former de nouvelles communautés de connaissance.
La narration transmedia fonctionnent également comme aimants textuels - plaçant dans un mouvement perpétuel la production, l'évaluation, la conservation des connaissances .
Par exemple, dans Lost, le feuilleton télé d'ABC, une carte a été flashée au beau milieu d'un épisode de la seconde saison. Des fans ont digitalisé un arrêt sur image et l'ont publié sur internet et ils ont extrapolé tous ensemble sur ce que cela pouvait signifier sur Hanso Corporation et ses activités sur l'île.
La narration transmedia démultiplie ce qui peut être connu d'un monde fictif particulier tout en dispersant cette information pour qu'aucun consommateur ne connaisse tout et soit obligé de communiquer sur la série avec d'autres (voyez, par exemple, les centaines de différentes espèces décrites dans Pokemon ou Yu-GI-o). Les consommateurs deviennent des chasseurs et des collecteurs explorant les divers récits, tentant d'assembler l'information dispersée pour créer une trame logique.
9. Le rôle des consommateurs
Un récit transmedia ne disperse pas simplement l'information : il assigne un ensemble de tâches et de buts que le public endosse en influant sur l'histoire par des actes de leur vie quotidienne. Nous pouvons voir cette dimension performative (NdT : Qui réalise une action par le fait même de son énonciation) dans la mise sur la marché de figurines qui encourageant les enfants à élaborer leurs propres histoires en utilisant ces personnages fictifs ou de déguisement et jeux de rôle qui nous invitent à nous immerger dans le monde de la fiction.
Dans le cas du Star Wars, les figurines Boba Fett ont entraîné l'engouement des consommateurs pour un personnages pourtant très secondaire dans la série, ce qui a amené à lui donner un rôle plus important dans les épisodes suivants.
10. Les aspirations encyclopédiques
Les aspirations encyclopédiques des narrations transmedia engendrent souvent ce qui pourrait être vu comme des lacunes ou des excès dans le déploiement de l'histoire. En effet, elles introduisent des trames potentielles qui ne peuvent pas être entièrement développées ou des détails supplémentaires donnent des indices qui n'auraient pas dû être révélés. Cela constitue pour les lecteurs une forte incitation à broder sur ces éléments d'histoire, et à les confronter à leurs spéculations jusqu'à ce qu'ils acquièrent une vie propre. La fanfiction peut être considérée comme expansion non autorisée de ces licences médiatiques vers de nouvelles directions reflétant le désir des lecteurs de combler les lacunes qu'ils ont découvertes dans le produit commercial.