Why Heather Can Write
Ce qui permet à Heather d'écrire
Cet article a été publié en février 2004 sur le site technology review du MIT (Massachusetts Institute of Technology ) où H. Jenkins était Directeur du département d'études comparatives de média.
Les titres intermédiaires ont été ajoutés par mes soins
culture de masse et littérature traditionnelle
A 13 ans, Heather Lawver a lu un livre qui a changé sa vie : Harry Potter à l'école des sorciers. Inspirée par les critiques du livre de J.K.Rowling qui incitaient les enfants à lire, elle voulut, elle aussi, s'engager dans la promotion de la littérature. Moins d'un an après, elle a lancé "The Daly Prophet" (La Gazette du sorcier), le journal des élèves d'un Poudlard imaginaire, et l'a publié en ligne. Aujourd'hui, cette publication est produite par une équipe de 102 enfants qui vivent dans le monde entier.
Lawver, encore adolescente, en est la rédactrice en chef. Pour sa publication hebdomadaire, dont elle corrige chaque texte, elle a engagé des chroniqueurs qui couvrent chacun leur spécialité du dernier match de Quidditch à la la cuisine moldue. Elle encourage ses troupes à vérifier précautionneusement si la version éditée est la même que celle qui a été soumise et discute avec eux des éventuels problèmes de style et de grammaire. Heather, à sa manière, est comme un élève par correspondance qui n'a pas mis les pieds dans une classe depuis le CP.
Mes deux derniers articles ont traité de la manière dont les parents et l'école peuvent aider les enfants à développer leur compétence médiatique. Ce mois-ci, je vais changer de perspective et exposer comment la culture de masse peut faire progresser les enfants en littérature traditionnelle. On est souvent persuadé que l'école a le monopole de l'éducation, pourtant les enfants malins savent depuis longtemps ne pas laisser l'école régenter leur éducation. Parfois les professeurs se plaignent que la culture de masse leur vole l'attention de leurs étudiants, affirmation basée sur l'hypothèse que ce que les enfants apprennent par les média est inférieur à ce qu'on leur enseigne à l'école. Or, en l'occurrence, ce qui est acquis par ce canal fait généralement partie des sujets très mal gérés par l'école (on dit que si l'école faisait l'éducation sexuelle de la même manière qu'elle enseigne la littérature, la race humaine serait éteinte en une génération).
Espaces d'affinité
Je vais me concentrer sur les enfants en âge d'aller au lycée qui lisent, écrivent, publient et critiquent de la fanfiction Harry Potter sur internet.
Mais gardez à l'esprit qu'un tel enseignement informel se rencontre à dans toute une game d'autres communautés en ligne. Nous pourrions, par exemple, parler du rôle important que la subculture Riot grrrl a joué au début des années 90 en aidant des adolescentes à progresser en technique à un moment où le cyberespace était encore vu comme un domaine principalement masculin ; nous pourrions parler des jeunes fans d'anime qui apprennent ensemble la langue japonaise et s'imprègnent de cette culture en sous-titrant de manière pirate leurs programmes préférés.
Le professeur Jame Gee
, professeur à l'université de Wisconsin-Madison, a défini ces cultures d'apprentissage informelle des "espaces d'affinités", se demandant pourquoi les enfants apprenaient davantage, participaient plus activement, s'engageaient plus profondément dans la culture populaire que dans ce que contenaient leurs livres de classe. Un fan d'Harry Potter de 16 ans m'a dit : "C'est une chose de discuter d'une nouvelle dont vous n'avez jamais entendu parler auparavant et dont vous n'avez rien à faire. C'en est une autre de parler avec vos amis d'un texte de 50 000 mots sur Harry et Hermione que vous avez passé trois mois à écrire."
J'ai étudié des communauté de fans et j'y ai participé, de l'intérieur et de l'extérieur, durant plus de 20 ans. Et ce que j'ai découvert, quand j'ai récemment pointé mon attention sur le fandom Harry Potter m'a coupé le souffle. Il y a dis ans, publier de la fanfiction était le fait de femmes qui avaient la vingtaine, la trentaine, parfois plus. Maintenant, ces auteures mûres ont été rejointes par une génération de nouveaux contributeurs en culottes courtes, qui ont découvert les fanfictions en surfant sur Internet et qui ont voulu voir ce qu'il pouvaient faire à leur tour.
Prenons par exemple une jeune fille connue sur internet sous le pseudo de Flourish. Elle a commencé à lire de la fanfiction X-files quand elle avait 10 ans, écrit sa première fanfiction Harry Potter quand elle en avait 12, et publié son premier roman en ligne à 14. Elle est rapidement devenue le mentor d'autres auteurs de fanfiction émergents dont certains avaient le double de son âge ou plus. La plupart pensaient qu'elle était étudiante. Echanger en ligne lui a permis de cacher son âge jusqu'à ce qu'elle devienne un pilier de fandom qu'il était inconcevable d'imaginer au lycée.
Quelles sont les conséquences de l'augmentation du pourcentage des lycéens parmi les jeunes auteurs publiés et recevant un retour sur leur travail ? Et que ce passe-t-il quand ces auteurs junior confrontent leurs textes, deviennent critiques littéraires, éditeurs, mentors ? Ne vont-ils pas avancer plus vite que les autres et acquérir davantage de vocabulaire pointu en travaillant sur leurs scénarios ?
Les apports de la fanfiction
FictionAlley [Ndt : nommé sur le modèle de Diagon Alley, le Chemin de Traverse], le plus grand site de publication Harry Potter, héberge plus de 30 000 histoires et chapitres, ce qui correspond à des centaines de romans complets ou en cours d'écriture. Son staff (bénévole) est composé de plus de 200 personnes dont 40 mentors qui accueillent chaque participant individuellement. Sugar Quill (Plume en sucre), un autre site connu, tous les textes envoyés sont soumis à la relecture d'un comité de pairs qualifié de "beta-reading" (beta-lecture). Les nouveaux auteurs doivent souvent soumettre plusieurs version avant que leur histoires soient aptes à être postées. "Le service de beta-lecteurs m'a vraiment aidé à limiter mon usage des adverbes, construire mes prépositions correctement, améliorer la structure de mes phrases et la qualité générale de mon écriture", explique une jeune fille écrivant sous le nom de plus de Sweeney-Agonistes, une étudiante de première année avec plusieurs années de publication derrière elle. Comme beaucoup d'autres auteurs, Agonistes dit que les livres de Rowling ont fourni un support précieux pour son imagination : "C'est plus facile de développer un bon scénario, une bonne caractérisation et d'autres techniques littéraires si vos lecteurs connaissent déjà le contexte dans lequel votre histoires se développe", explique-t-elle.
En "braconnant" (1) sur les terres de Rowling, les auteurs utilisent un monde en place et des personnage familiers et peuvent ainsi se concentrer sur d'autres aspects de leur travail. Bien souvent, les sujets ébauchés dans les livres les amènent à développer des scénarios ou fouiller davantage les personnages.
Les puristes littéraires, bien entendu, s'inquiètent de la pertinence de laisser les jeunes se lancer dans l'écriture de manière aussi peu conventionnelle. Certes, il est certainement formateur d'écrire sur soi, mais les adolescents ont souvent du mal à abandonner un point de vue nombriliste et voir le monde à travers les yeux des autres. Leur complicité avec Harry et ses amis rend possible une certaine prise de distance critique sur leur propre vie et les amène à examiner leurs problèmes avec une nouvelle perspective.
Ecrire sur Harry leur offre quelque chose d'autre : un public attiré par un intéret commun pour l'histoire, intérêt dont il n'est pas possible de trouver l'équivalent avec des histoires mettant en scène des personnages originaux. La force de la culture de masse est de canaliser toute une population qui va constituer la base d'une audience nombreuse pour ces conteurs débutants.
Les fanfiction sur Harry Potter sont composées d'innombrables récits montrant de jeunes personnages se battre contre des injustices que leurs auteurs rencontrent chaque jour à l'école. Il n'est pas rare également que ces jeunes auteurs témoignent de leur attirance à adopter le point de vue d'un personnage adulte. Beaucoup d'excellentes histoires sont du point de vue d'un professeur ou décrivent les parents et mentors de Harry du temps où ils étaient étudiants. Ces histoires peuvent être très romantique ou le témoignage nostalgique d'un certain âge d'or. D'autres sont l'expresion d'une révolte ou évoquent les premiers émois sexuels, sujets qu'il n'est pas évident de traiter dans des devoirs d'école et qu'il serait embarrassant d'aborder dans un récit autobiographique ou original. Quand ils discutent autour de ces histoires, ados et adultes parlent sans tabou de leur expériences, se donnent des conseils qui vont bien au delà de la discussion sur le scénario et les personnages. Avoir en commun des personnages créé un terrain d'entente qui donne à ces conversations une tournure résolument collaborative.
De par leurs discussions en ligne sur l'écriture, les jeunes auteurs apprennent à manier le vocabulaire technique de la littérature et ils travaillent leurs textes pour l'améliorer. Quand ils parlent des livres eux-mêmes, les ados les comparent à d'autres ouvrages littéraires ou les mettent en relation avec des courants philosophiques ou religieux. Ils discutent du stéréotype des personnages féminins, citent les interviews de l'auteur ou les critiques du livre, manient des concepts qu'ils n'auraient sans doute jamais rencontré avant la fac.
Fanfiction et école
Il n'est pas surprenant qu'un jeune qui vient de publier son premier texte et a reçu une douzaine de commentaire se sente désapointé quand, de retour en classe, il rend un devoir qui ne sera lu que de son professeur qui parlera davantage sur le bon usage des virgule que des personnages développés. Des adolescents avouent glisser leurs histoires dans leurs cahiers et les travailler durant la classe. D'autres profitent de la pause déjeuner pour discuter de leur scénario et de leurs personnages avec leurs camarades de classe ou s'arrangent pour utiliser les ordinateurs de l'école pour avancer leur histoire, s'ils ne se font pas chasser par un documentaliste pensant qu'il perdent leur temps. Ils ne peuvent pas attendre la fin des cours pour se plonger dans leur écriture.
Il n'est pas certain qu'on retrouverait tous ces avantages rien qu'en intégrant des activités similaires dans les classe - imaginons des professeurs utilisant des devoirs de fanfiction pour motiver leurs élèves. L'école est moins flexible que les communautés de fans pour soutenir les auteurs aux différents stades de leur développement. Plus encore, l'école est basée sur une hiérarchie stricte - notamment dans le partage des rôles des professeurs et des adolescents. Il serait inconcevable que des jeunes comme Heather ou Flourish se voient proposer les mêmes opportunités éditoriales que celles qu'elles ont eu avec le fandom.
Même les écoles les plus progressistes ont des limites dans ce que peuvent écrire leurs étudiants, comparé à la liberté dont ils jouissent quand ils sont livrés à eux-mêmes. Certains ont reçu des commentaires très critiques sur leurs histoires les plus controversées, mais au moins ils ont pu décider d'eux même les risques qu'ils prenaient et été amené à assumer ces décisions. La série Harry Potter n'a pas été universellement été bien accueillie dans les écoles américaines. Elle a été l'objet de davantage de controverses au cours des dernières années que la plupart des autres livres. Les jeunes auteurs sont très conscients de possibles censures et beaucoup prennent la décision de ne pas parler à leurs parents ou leurs professeurs de leurs travaux d'écriture. Ce que les adultes ne savent pas ne peut pas les blesser.
Le rôle des adultes
Des étudiants témoignent que des professeurs les ont tourné en ridicule à propos du temps qu'ils passaient sur leurs écrits de fanfictions. D'autres se plaignent des parents qui tentent de les protéger de l'influence démoniaque de ces livres. Mais il y a aussi des profs qui se sont intéressés à ces histoires et ont donné leur avis. Et des parents qui encouragent leurs enfants en les amenant à des conventions où ces auteurs en herbe ont pris la parole devant un public nombreux pour parler de leurs travaux d'écriture. Ces jeunes souffrent quand les adultes envahissent leur espace, mais ils ont besoin d'adultes pour respecter et valoriser leurs expériences.
Beaucoup d'auteurs en herbe aspirent à une carrière d'écrivain professionnel. Beaucoup sont accepté dans des universités prestigieuses et évoluent dans leurs études en s'appuyant sur l'expérience qu'ils ont acquis en tant que fans.
La fanfiction fournit un lieu protégé pour développer les plus brillants esprits qui pourraient finir broyés par le système et offre une aide personnalisée aux moins doués pour leur permettre de développer tout leur potentiel. En d'autres mots, ces jeunes trouvent quelque chose sur internet que l'école ne leur donne pas.
Notes
(1) "poaching" : allusion à un de ses ouvrages précédents "Textual Poachers: Television Fans & Participatory Culture" (1992). Il y développait le terme de "braconnier textuel" à partir du concept proposé par G. Genette.